Quels sont les impacts du changement climatique sur la biodiversité marine en Méditerranée ? Quelles sont les contraintes liées au fait que la Méditerranée est une mer quasi fermée ?

Mathilde Bessières & Estelle Paoli
(étudiants Master SET spécialité Système Terre - Changements Globaux)

Les changements climatiques constituent aujourd’hui une pression supplémentaire qui menace la diversité biologique. Selon le quatrième rapport du GIEC, les écosystèmes méditerranéens, porteurs d’une biodiversité importante et vulnérable, seraient parmi les plus menacés par l’évolution annoncée du climat. La mer méditerranée possède un climat spécifique avec quatre saisons contrastées et une forte variabilité interannuelle.
Le changement climatique a plusieurs conséquences : élévation du niveau de la mer, élévation de la température, modification des caractéristiques physicochimiques des eaux, changement sur les espèces.
L’impact le plus visible du changement climatique est l’élévation du niveau de la mer, dû à la dilatation thermique de l’eau, conséquence de l’augmentation des températures, et à l’apport d’eau issue de la fonte des glaciers. Les écosystèmes doivent donc s’adapter s’ils en sont capables. Il est important d’étudier ces adaptations. Cependant, cette élévation demeure difficile à prévoir au niveau régional et en particulier dans le bassin méditerranéen.
La température de l’eau augmente également, mais cette augmentation n’est pas observée uniformément sur l’ensemble du globe. Cette hausse renforce la stratification des eaux superficielles, d’où une réduction de l’apport en nutriments, ce qui entraine une diminution de la production primaire. Tout cela favorise l’extension des déserts océaniques et des espèces envahissantes (y compris des pathogènes) mais a aussi des impacts sur les zones intertidales méditerranéennes par l’altération de la physiologie de plusieurs espèces-clé. Comme celles-ci ont un rôle écologique majeur, il pourrait y avoir des effets en cascade sur l’ensemble du milieu.
Cette élévation de température a également un effet sur l’évolution des espèces présentes en modifiant les périodes de reproduction et/ou la migration de certaines espèces, la durée des phases de croissance, la fréquence des infestations parasitaires et l’apparition de nouvelles maladies. L’augmentation de la température de l’eau peut affecter les organismes et être à l’origine de plusieurs contraintes entraînant parfois certaines adaptations physiologiques. 
Dans certains cas, quand le stress dépasse le seuil de tolérance, le cycle de vie ou la répartition des espèces peuvent être modifiés. Certaines espèces présentes subissent le déplacement, la fragmentation voire la disparition de leurs habitats pendant que d’autres voient ou verront leur aire de répartition s’étendre, à l’image de la sole égyptienne, qui pourrait occuper tout le bassin à la fin du siècle. Des conséquences sont aussi observées et attendues sur le fonctionnement des réseaux trophiques (altération des relations prédateur-proies). La tendance au réchauffement actuel peut par exemple favoriser la propagation de plusieurs prédateurs tels que les barracudas Sphyraena spp. et la dorade coryphène Coryphaena hippurus.
Il faut aussi prendre en compte le cas des invasions biologiques qui affectent également la biodiversité. 
Ainsi, un changement de la composition de la majorité des écosystèmes actuels est probable. Par exemple, actuellement, en Méditerranée, parmi les conséquences directes du réchauffement climatique, on peut observer une augmentation simultanée de l’abondance des espèces thermophiles méditerranéennes et allochtones et la disparition ou la raréfaction des espèces sténothermes « froides ».
Un autre facteur aggravant pour les milieux est la diminution de la concentration en oxygène des eaux marines qui pourrait aggraver les effets de l’eutrophisation des eaux côtières jusqu’à l’anoxie. Le CO2, en revanche, voit sa concentration augmenter significativement (les mers et océans absorbent 25 à 30% du CO2 anthropique émis). Il y a acidification des eaux marines, donc diminution du pH, et ce avec des disparités géographiques. Les communautés biologiques dont la physiologie est liée au pH du milieu sont les premières impactées (les bivalves à coquilles carbonées, par exemple). Or elles ont une grande importance dans le fonctionnement des écosystèmes, notamment dans les réseaux trophiques car elles font le lien entre production primaire et niveaux trophiques supérieurs. L’acidification de l’eau a de l’influence sur plusieurs écosystèmes benthiques. Par exemple, sur les prairies à Posidonia Oceanica, l’augmentation du CO2 permet leur multiplication mais réduit leur couverture épiphytique et les rend plus vulnérables aux brouteurs. 
Globalement, si la tendance au réchauffement se poursuit, une homogénéisation du biote méditerranéen est prévisible, perturbant les entités biogéographiques présentes. La partie sud de la Méditerranée sera de plus en plus occupée par des espèces exotiques tropicales, le Nord sera envahi par des espèces indigènes d’eau chaude. Les espèces sténothermes d’eau froide se cantonneront au nord du bassin. Elles auront tendance à se raréfier, avec de probables possibilités d’extinction. Certains biotopes confinés sont également le théâtre de substitution d’espèces. 

En plus du réchauffement climatique, il y a des contraintes liées au fait que la mer méditerranée est semi-fermée.
La méditerranée présente des caractéristiques océanographiques et biogéographiques uniques, qui peuvent contribuer à exacerber ou limiter les impacts écologiques de l’acidification. L’apport croissant en nutriments des rivières, les pollutions, la pêche ou l’aquaculture, parmi d’autres pressions anthropiques, complexifie encore ce jeu d’interactions croisées. L’évaporation est supérieure aux précipitations, il y a donc de nombreuses disparités en terme de salinité et d’altimétrie qui ont tendance à augmenter. Ces disparités vont rendre les échanges d’eau entre l’océan atlantique et la méditerranée à travers Gibraltar plus complexes. Cette semi-fermeture implique que la méditerranée possède à la fois une variabilité régionale/locale qui lui est propre mais qu’elle tend aussi à suivre le régime de variations général des autres océans via son ouverture. 

Les changements climatiques sont donc des contributeurs importants à la perte en biodiversité, Les espèces les plus touchées seront celles déjà vulnérables ou celles qui ont des exigences élevées (aire de répartition climatique restreinte, besoins spécifiques).
Sur la base d’un scénario de changement climatique modéré, l’hypothèse d’une extinction de 15 à 37 % des espèces occupant le nord-ouest de la Méditerranée d’ici à 2050 est prévisible. Pour le moment, il ne semble pas possible de prévoir l’ampleur de la prolifération des espèces thermophiles. La Méditerranée traverserait actuellement un processus de méridionalisation.