Deux points de vue sur les solutions de géo-ingéniérie

MC. Bellinghery & H. DiCostanzo
(étudiants Master SET, spécialité Système Terre : Environnement, tectonique, géomorphologie et paléoclimat)

 

Géo-ingénierie
Manipuler le climat, la solution du désespoir

Le réchauffement climatique est aujourd’hui au cœur de tous les débats : la mobilisation internationale ayant conduit à l’accord de la COP21, le 12 décembre dernier à Paris, est déjà historique. Pourtant, l’ambition de maintenir la hausse des températures sous la barre des 2°C, avec un objectif de 1,5°C avant 2100 par rapport à l’ère préindustrielle, semble un peu trop optimiste si aucun protocole n’est avancé et si les engagements nationaux restent en l’état. De plus, nos connaissances sur le climat restent encore incroyablement faibles : le système climatique intègre une multitude d’interactions physico-chimiques entre les différentes enveloppes de la Terre, il est de ce fait extrêmement complexe. Quelles solutions nous reste-t-il alors pour tenter d’atténuer cette hausse avec certitude ? La géo-ingénierie, soit les techniques visant à modifier volontairement le climat planétaire, pourrait être une solution alternative à la diminution des émissions de gaz à effet de serre : en agissant sur le rayonnement solaire, ou en intervenant au cœur du cycle naturel du carbone, il ne serait peut-être pas trop tard pour limiter le réchauffement. Quelles solutions propose-t-elle ?

I - Méthodes de gestion du rayonnement solaire :

-  Emissions d’aérosols soufrés dans la stratosphère : Analogue à l’éruption du Pinatubo en 1991, cela diminuerait le rayonnement solaire à raison d’une injection tous les deux ans. C’est un phénomène globalement connu, techniquement et financièrement réalisable. Mais notre incompréhension du système global nous limite dans la connaissance des effets de telles interventions stratosphériques (sur le climat régional, l’agriculture). Et les modèles indiquent que la moindre interruption des opérations pourrait déclencher un rattrapage des températures si brutal qu’aucun écosystème ne pourrait s’y adapter. 
-  Le « parasol solaire » : Le principe est simple : mettre en orbite de petits écrans indépendants les uns des autres, très légers et munis d’un système de positionnement, agissant comme des miroirs. Mais le système est bien trop couteux, complexe au niveau du maintien, de l’entretien, et de la faisabilité technique actuelle.

II - La stimulation de la pompe océanique :

-  Déverser de la chaux dans les océans : Booster le captage chimique du carbone en déversant de la chaux (plus basique) accélèrerait la pompe océanique naturelle de CO2. Le processus est basé sur des réactions chimiques parfaitement connues, et cela retarderait l’acidification des océans. Le problème est que la production de chaux est extrêmement énergivore. Sans compter que les répercussions de l’ingestion de celle-ci par le zooplancton sur la chaine alimentaire sont totalement inconnues. 
-  Déverser du fer : Il est possible de stimuler artificiellement la pompe biologique à carbone en déversant de la limaille de fer dans les zones pauvres en biomasse : le fer est un nutriment qui permet d’accroitre la productivité primaire, c’est-à-dire les phytoplanctons qui captent le CO2. Le coût d’un tel projet serait relativement faible, mais il accélèrerait l’acidification des océans, et entrainerait des conséquences terribles pour la biomasse marine.

III – Séquestration de CO2 dans le sol :

-  L’amélioration des sols avec du charbon de bois pilé : le « Biochar » est un charbon issu de la pyrolyse de composés organiques, finement broyé et épandu pour fertiliser les terres agricoles, permettant par la même l’« enfouissement » de carbone pur dans le sol. Néanmoins, la pureté du charbon impact la fertilité qui pourrait devenir négative. De plus, les répercussions sur la biodiversité des sols sont totalement inconnues. Enfin, pour séquestrer une quantité significative de carbone, la quantité de fours à pyrolyse et d’hectares nécessaires serait conséquente.

IV - Capture du CO2 à partir de l’air :

-  Reboisement intensif : l’idée serait de « replanter la forêt tropicale ou boréale » pour pomper du CO2 par photosynthèse. Cette solution « douce » semble facile à mettre en œuvre pour contrebalancer la déforestation. Pourtant, des reboisements massifs entraineraient la diminution des terres agricoles. Cela modifierait également l’albédo des sols, le régime hydrique et le climat local. Sans compter que ce stockage serait non pérenne car un feu de forêt pourrait rapidement relarguer le carbone absorbé.

Les laboratoires de géo-ingénierie ne manquent donc pas d’idées pour tenter de modifier le système climatique : si certaines s’avèrent plus que fantaisistes, d’autres sont en revanche beaucoup plus plausibles, techniquement voir financièrement réalisables dans le futur. Pourtant, la nécessité de leur mise en œuvre reste encore à débattre : le climat présente une très forte inertie et un comportement non linéaire, ainsi rien ne nous assure la faisabilité, l’efficacité et la durabilité de ces actions. Sans compter que les conséquences de telles manipulations considérant nos lacunes dans la connaissance de tous les mécanismes qui régissent le système pourraient être considérables. Mais au-delà même de leur efficacité, se pose le problème d’attribution et de responsabilité : qui contrôlera le climat, et qui contrôlera les contrôleurs de climat ? De plus, les alternatives proposées par la géo-ingénierie ne sont-elles pas de fausses solutions ? Une façon de reporter la nécessité imminente d’une transition énergétique ? Le danger serait alors de penser que si l’on peut modifier le climat, abaisser le taux de CO2 et réduire les températures globales, à quoi bon tenter de réduire nos émissions ?

Références : 
http://www.arp-reagir.fr/iso_album/rapport_final_arp_reagir.pdf
http://www.arp-reagir.fr/iso_album/_____rapport_complementaire_scenarios.pdf
http://www.arp-reagir.fr/iso_album/_rapport_complementaire_geoingenierie_dans_le_monde.pdf
http://sciencescitoyennes.org/wp-content/uploads/2015/09/FSC_Fiche_Geo-ingenierie_Ocean.pdf
V.Nouyrigat, Lutte contre le réchauffement : réduire les émissions ne suffira pas. Science&Vie, n°1179, 42-49. (2015)

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Levy-Abegnoli Quentin & Ait Messaoud Ayoub 
(étudiants Master SET, spécialité Système Terre : Environnement, tectonique, géomorphologie et paléoclimat)

 

Peut-on manipuler le climat ? Pourrait-on diminuer la quantité de carbone dans l’atmosphère ? Y a-t-il des effets colatéraux à cette manipulation ?

Depuis peu, nous avons entamé un voyage industriel pour atteindre le plus haut point de sophistication, nous sommes arrivé à créer des nuages pour produire de la pluie, à envisager la réplication des éruptions volcaniques, voire même l’installation d’un bouclier solaire qui permettrait la réduction des radiations solaires. L’ensemble de ces techniques, une cinquantaine à l’étude aujourd’hui, constitue la géo-ingénierie. Elles proposent des voies prometteuses pour contrecarrer les effets du réchauffement climatique dû à l’émission de gaz à effet de serre anthropiques.

On les regroupe actuellement dans 2 catégories : la gestion du rayonnement solaire qui regroupe toutes les techniques visant la réfraction d’une partie des radiations solaires , et celles visant à maitriser la quantité de CO2 atmosphérique.

Concernant la première des 2 catégories, l’une des pistes principales tire son inspiration d’un phénomène naturel bien connu, les éruptions volcaniques, et en particulier celle du Mont Pinatubo. L’éruption en 19xx de ce volcan a libéré 17 Mt de SO2 dans la stratosphère, qui, grâce à des réactions en chaîne, s’est instantanément transformé en H2SO4. L’augmentation de la quantité d’aérosols dans l’atmosphère, dispersée en 1 an autour du globe, a provoqué une diminution importante de la quantité de radiations solaires atteignant la surface de la Terre. Toutefois cette solution est à prendre avec des pincettes, l’injection de 17Mt de produit chimique dans l’atmosphère, avec les précautions nécessaires, s’avérant complexe compte tenu du nombre de paramètres entrant en compte. 

Une autre piste étudiée concerne l’installation de milliers de miroirs dans l’espace, de grande taille, qui permettraient la réflexion d’une fraction déterminée de la lumière du Soleil. Ce projet, soutenu par la NASA, est très sérieux de par son contenu technique, mais semble irréalisable de par son coût astronomique, de l’ordre de milliers de milliards de dollars. 

Enfin, l’une des branches les plus étudiées s’intéresse à la modification du climat par l’augmentation du nombre de nuages. Cette technique est utilisée pour améliorer les précipitations autant que pour la gestion des rayonnements solaire. Une question se pose tout de même : la dérégulation thermique ne serait-elle pas trop importante ? Augmenter la couverture nuageuse augmentera l’isolation, diminuant la température en journée grâce à un surplus d’ombre, mais l’augmentant le soir à cause justement de cette isolation. Il faudrait alors envisager une couverture nuageuse parfaitement régulable, compliquant fortement cette solution.

Parallèlement à ces pistes, sont également étudiées diverses solutions concernant la maîtrise de la quantité de CO2 atmosphérique. Ces solutions sont très sérieuses et d’actualité. Elle possède même une longueur d’avance sur celles évoquées précédemment. En effet, lors de la COP 21 et de l’Accord de Paris, a été évoqué un équilibre à atteindre entre les émissions de GES anthropiques et la quantité capturée. Ces solutions sont donc prises très au sérieux par les gouvernements et concentreront probablement les investissements dans les années à venir. 

Cette problématique, communément appelée "séquestration du CO2" est approchée de 2 façons différentes. La première consiste à capturer les émissions directement, la seconde se concentre sur le captage du CO2 déjà présent dans l’atmosphère.

En ce qui concerne la première approche, la piste privilégiée est celle de l’enfouissement géologique du dioxyde de carbone. L’idée est ici de capturer le CO2 avant qu’il ne soit libéré dans l’atmosphère. Ce procédé concerne essentiellement la combustion d’énergies fossiles. Les molécules de CO2 sont donc "piégées" soit avant, soit pendant, soit après la combustion. L’une des techniques les plus couramment utlilisées est la captation par solvant, qui consiste en l’introduction d’un solvant présentant une affinité particulière avec les molécules de CO2. Il va donc se lier à elle, et c’est ce résidu que l’on récupère. Le reste des émissions, appauvries en CO2, peuvent être libérées dans l’atmosphère. L’acheminement vers les sites choisis repose sur des techniques connues dans le domaine des hydrocarbures. Il s’agit ici d’adapter le matériel au transport de CO2. L’opération suivante consiste en la localisation de formations géologiques particulières, telles que des cavités souterraines particulièrement étanches. La difficulté ici n’est pas la localisation, car utilisant des techniques bien connues des pétroliers par exemple, mais les conditions drastiques d’étanchéité. En effet, il faut à tout prix éviter l’infiltration du CO2 sous forme gazeuse dans de quelconques fissures. Cela entraînerait un rejet massif de CO2 dans l’atmosphère. C’est là que résident les principales difficultés et risque de cette technique. Également, le coût actuellement élevé de ce procédé, de l’ordre de 50-100 euros la tonne, à comparer aux 10 euros de la tonne sur le marché carbone. Toutefois l’amélioration des techniques tendra à faire baisser ces coûts, et le prix de la tonne va augmenter sur le marché carbone dans les années à venir afin de crédibiliser les mesures de réduction d’émission, en particulier dans le privé.

L’approche qui vise à capter le CO2 déjà présent dans l’atmosphère prend directement exemple sur la nature, et plus particulièrement sur la biomasse. L’une des caractéristiques les plus fameuses de cette dernière est la séquestration de CO2 : forêts, prairies, tourbières, plantes aquatiques, tous ont un rôle à jouer. L’idée ici est donc la préservation et la création de nouveaux espaces naturels de captation de CO2. L’un des exemples les plus parlant est celui des forêts urbaines. La forêt urbaine de Hangzhou en Chine permet la séquestration de 1,66 t de carbone par hectare et par an, soit près de 20% des émissions annuelles de la ville. Ces chiffres, non négligeables, pourraient être amélioré par une gestion forestière encore plus efficace.

Toutefois, et à l’heure où l’expansion urbaine est freinée uniquement par un déficit de place, les forêts urbaines suffisamment grandes pour avoir un tel impact ne sont pas légion. C’est pour cela que des chimistes ont mis au point un matériau synthétique, un polymère, qui imite les propriétés de captation de CO2 de la biomasse. Ses bonnes capacités d’absorption de CO2 en font un candidat idéal pour la fabrication "d’arbres artificiels". Ne nécessitant pas de temps de pousse, ils peuvent ainsi être directement implantés en milieux urbains, et représentent une alternative viable aux arbres traditionnels.
Une fois saturés, il suffit de les chauffer à une température de 85 degrés Celsius pour les régénérer.

L’ensemble de ces techniques, certaines drastiques comme la modification du climat, d’autres pus douces comme la séquestration naturelle du CO2, sont des pistes sérieuses d’études pour les années à venir. Tout l’enjeu sera alors de comprendre au mieux lesquelles sont viables, et fiables, sur le long terme. Lesquelles présenteront le moins de risque sur la durée, lesquelles ont la durée d’utilisation la plus grande, etc... Tant de questions qui s’avéreront centrales dans un futur très proche.