Comment évolue la fréquence des incendies en Provence ? Quelles en sont les raisons ?

Thomas Curt (Directeur de recherche, IRSTEA, Institut national de Recherche en Sciences et Technologies pour l’Environnement et l’Agriculture)

 

Les incendies de forêts constituent un risque très important en Provence, et ils sont un impact considérable sur les personnes et les biens. C’est le cas notamment lors d’années météorologiques exceptionnelles comme 2003. Pour les écosystèmes, les incendies fréquents et de forte intensité sont généralement négatifs. Un régime d’incendie plus modéré peut cependant être nécessaire pour le maintien de communautés végétales typiques de la Provence comme les garrigues. Les feux font partie du paysage provençal depuis des millénaires, ils ont évolué en même temps que l’homme modifiait ses pratiques et le paysage. Ainsi, certains espaces naturels (maquis et garrigues, pinèdes, taillis de chênes) doivent leur extension actuelle aux incendies autant qu’aux actions humaines (boisements, déforestation, pâturage).

Même si les statistiques anciennes manquent, on voit que la fréquence des incendies a suivi l’augmentation des surfaces forestières et des garrigues et maquis au cours des dernières décennies, sous l’action de reboisements ou du fait de l’extension naturelle de certaines communautés végétales après abandon des pratiques agro-pastorales. En Provence, les conditions naturelles sont favorables au feu avec un climat chaud et sec en été, et la présence de nombreuses communautés végétales très inflammables. C’est donc largement l’action de l’homme qui modifie le régime d’incendie : la plupart des départs de feux sont d’origine humaine, et le type d’occupation du sol et sa disposition dans le paysage expliquent les durées de retour entre incendies en Provence.

Les statistiques détaillées sur les incendies démarrent en 1973 avec la mise en place de la base de données Prométhée qui les recense dans les 15 départements du sud de la France. Une tendance nette apparait en comparant la période 1973-1990 et la période 1991-2013 : le nombre d’incendies a diminué de 3000 à 2500 par an. Mais c’est surtout la surface brûlée qui a fortement diminué : elle passe de 30.000 ha à moins de 15.000 ha, alors que la biomasse combustible n’a pas diminué dans le paysage, que les ignitions se maintiennent, et que le climat se réchauffe. Cette évolution positive est clairement à mettre au crédit de la stratégie de prévention et de lutte contre les incendies mise en place dans les années 1990. Cette stratégie globale (prévention, prédiction, préparation, lutte) intègre notamment l’attaque massive des feux naissants : il s’agit d’éviter leur extension et l’augmentation de leur intensité jusqu’à des niveaux diffilement contrôlables. Cette stratégie elle très efficace en conditions météorologiques "normales". Pendant les années métérologiques exceptionnelles comme 2003, caractérisées par de longues périodes très sèches et parfois très ventées, certains incendies échappent au contrôle des pompiers et peuvent donner de grands feux ayant un impact majeur.

Les analyses et modélisations menées notamment dans le cadre de projets de recherche européens (FireParadox 2006-2009, FUME 2010-2013) montrent que le contrôle des feux reste possible en Provence en année météorologique normale, mais aussi que la saison à risque devrait augmenter avec des feux plus fréquents au printemps et en automne. Les grands incendies très dévastateurs devraient augmenter en fréquence lors des épisodes métérologiques exceptionnels. Les recherches prédisent aussi plus de feux dans l’arrière-pays provençal du fait des changement climatiques et de l’extension urbaine. Enfin, le succès de la lutte peut aussi avoir un effet paradoxal : la diminution des surfaces brûlées permet l’accroissement de la biomasse combustible, augmentant d’autant l’intensité des incendies futurs. Ces résultats confortent l’idée qu’il faut apprendre à vivre avec le feu en gérant la végétation dans le paysage pour limiter le risque et la vulnérabilité sur le long terme.

Base de données Prométhée sur les incendies de forêts

Articles scientifiques :
Curt, T., Borgniet, L., Bouillon, C., 2013 Wildfire frequency varies with the size and shape of fuel types in southeastern France : Implications for environmental management Journal of Environmental Management 117, 150-161.
Moreira, F., Viedma, O., Arianoutsou, M., Curt, T., Koutsias, N., Rigolot, E., Barbati, A., Corona, P., Vaz, P., Xanthopoulos, G., Mouillot, F., Bilgili, E., 2011 Landscape - wildfire interactions in southern Europe : Implications for landscape management Journal of Environmental Management 92, 2389-2402.